À l’heure où la biodiversité s’appauvrit à un rythme jamais égalé dans l’histoire de l’humanité,[1] difficile de ne pas se sentir parfois désarmé. La nature ne se résume pourtant pas à des hectares de forêts protégées dans un pays lointain. Au contraire, elle nous entoure au quotidien dans nos jardins, le long des trottoirs, sur nos toits, et dans bien d’autres lieux insoupçonnés. Des quartiers verts aux prairies fleuries, en passant par les toitures vertes et l’agriculture urbaine, les initiatives ne manquent pas pour accueillir la biodiversité en ville.
Faute de pouvoir toutes les citer, cet article présente quelques facteurs clés à garder à l’esprit pour ramener la nature près de chez vous ou dans vos projets.
Biodiversité et services écosystémiques : kézako ?
Essentielle au maintien de la vie sur terre, la biodiversité nous rend une série de services productifs, régulateurs et culturels. Elle permet non seulement la production de nourriture, d’eau potable, de matériaux, de médicaments et d’énergie, mais aussi de lutter contre les changements climatiques, de prévenir les inondations, d’assurer la pollinisation et de favoriser l’assainissement de l’air et des sols. Elle contribue, en outre, à développer un cadre de vie sain et agréable, ainsi que des paysages accueillant des activités de loisirs. Tout un patrimoine naturel à découvrir !
La protection de la biodiversité se justifie, par ailleurs, pleinement sur le plan économique. Plus de la moitié du PIB mondial (soit 40 billions d’euros) dépend de la nature et des services qu’elle fournit, et trois des plus importants secteurs économiques (la construction, l’agriculture et la production alimentaire) en sont fortement tributaires. Les bénéfices générés par Natura 2000, le réseau de protection de la nature de l’UE, sont par exemple estimés à un montant compris entre 200 et 300 milliards d’euros par an !
Et les villes dans tout ça ?
Dans sa stratégie, l’UE n’a pas oublié les villes et rappelle les nombreux bienfaits des espaces verts urbains :
- Bien-être pour les habitants ;
- Refuge pour la nature ;
- Réduction des pollutions atmosphérique, aquatique et sonore ;
- Lutte contre les inondations et les sécheresses ;
- Protection contre les vagues de chaleur…
Elle encourage ainsi les villes européennes de 20.000 habitants ou plus à élaborer d’ici la fin 2021 des plans ambitieux d’écologisation de l’espace urbain.
Ces derniers devront comprendre des mesures visant à créer des forêts, des fermes urbaines, des toitures et des murs végétalisés, des rues arborées, des prairies urbaines, et des haies urbaines. Ils devraient également contribuer à mieux relier les espaces verts entre eux, à éliminer l’utilisation des pesticides et à limiter la tonte excessive de l’herbe dans les espaces verts urbains, ainsi que les autres pratiques néfastes pour la biodiversité.
Déjà tout un programme et une série d’actions possibles !
Derrière ce terme un peu barbare (essayez-donc de le répéter vingt fois de suite), l’écologisation urbaine témoigne du véritable intérêt d’introduire la biodiversité dans les processus d’aménagement du territoire et d’urbanisation. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la nature n’existerait que séparée de l’Homme, ce concept rappelle qu’il est possible d’accueillir la biodiversité en ville et de cohabiter avec une multitude d’êtres vivants.
Tout n’est pas qu’une question de superficie
Si les espaces verts urbains peuvent parfois paraître étriqués, chacun d’entre eux n’en a pas moins son rôle à jouer en matière de conservation de la nature. En d’autres termes, tout n’est pas qu’une question de superficie.
Outre la protection des zones de grand intérêt biologique, il convient en effet de maintenir et de créer des corridors écologiques permettant la circulation des espèces entre des territoires fragmentés.
Un tel réseau écologique est constitué de trois composantes fonctionnellement complémentaires :
- Des zones noyaux (ou zones centrales), de grand intérêt biologique, où la conservation de la nature est prioritaire sur les autres fonctions ;
- Des zones de développement (ou zones tampons), à savoir des zones d’intérêt biologique moindre, mais recelant un potentiel important en matière de biodiversité ;
- Des zones de liaison (ou corridors écologiques) permettant les migrations et le brassage génétique entre les populations des zones noyaux.
En Wallonie, on utilise aujourd’hui le concept de Structure Écologique Principale qui globalise, dans une enveloppe unique, les différentes zones ayant un intérêt biologique actuel ou potentiel (les zones centrales et les zones de développement). En Flandre, le réseau écologique a été officiellement introduit par décret en 1997, et est organisé de façon similaire en zones VEN (Vlaams Ecologisch Netwerk) et en zones IVON (Integraal Verwevings en Ondersteunend Netwerk).
À Bruxelles, le premier Plan Régional de Développement (PRD) a introduit, dès 1995, le concept de maillage vert pour évoquer un ensemble d’espaces verts, reliés entre eux par des liaisons vertes, dans le but de constituer un réseau le plus continu possible. Ce concept s’est ensuite étendu au maillage bleu qui vise à rétablir autant que possible la continuité du réseau hydrographique de surface.
En d’autres termes, si certaines zones sont plus stratégiques que d’autres, il est néanmoins possible, et même indispensable, d’agir en tout point du territoire pour assurer une interconnexion optimale entre les zones de plus grand intérêt biologique et, ainsi, garantir la survie des espèces.
Inutile d’attendre de revoir l’aménagement de tout un quartier pour prendre des initiatives, ni même de disposer d’un grand jardin. À l’échelle même du bâti, d’une façade, d’une toiture, de petits aménagements peuvent déjà faire la différence !
Agir, mais comment ?
Encore faut-il bien sûr savoir comment agir. Nous épinglerons ici cinq facteurs essentiels de réussite :
- Observer et connaître l’existant ;
- Diversifier les milieux ;
- Favoriser les espèces indigènes et bannir les plantes invasives ;
- Réaliser une gestion différenciée ;
- Informer, communiquer.
Observer et connaître l’existant
Prendre des mesures pour aménager les biotopes n’a de sens que si cela améliore les conditions dans lesquelles vivent les animaux et les plantes. Dans un premier temps, une analyse du terrain permettra dès lors d’inventorier les types de milieux déjà présents, de lister les espèces végétales, voire animales, qu’ils abritent, d’identifier les contraintes climatiques…
Grâce à cette évaluation biologique, on identifiera le potentiel du site, les éléments à conserver ou restaurer et les possibilités de création de nouveaux milieux propices au développement de la nature, tout en s’approchant le plus possible du milieu naturel d’origine.
L’analyse de l’environnement vise également à déterminer les autres éléments du réseau écologique avec lesquels les nouveaux aménagements pourront entrer en interaction. Par exemple, lorsqu’un immeuble se trouve sur le lieu de passage d’une espèce telle que le martinet, on pourra y envisager la mise en place de nichoirs destinés à les accueillir.
Diversifier les milieux
L’hétérogénéité est source de biodiversité. Et pour ce faire, nul besoin de disposer d’un jardin grand comme le domaine royal de Laeken !
Dans le cas des toitures vertes, une toiture extensive plantée de sedums aura, par exemple, un intérêt biologique assez limité. En variant les types et les épaisseurs de substrats, en diversifiant les espèces végétales plantées, voire en aménageant des micro-habitats refuges (rochers, bois…), elles peuvent en revanche devenir de véritables sanctuaires pour la biodiversité. Si de telles conditions hétérogènes sont trop difficiles à mettre en œuvre pour des raisons de techniques liées au bâtiment, la diversité pourra s’exprimer à l’échelle d’un ensemble de bâtiments présentant plusieurs types de toiture et formant ainsi une unité favorable à la biodiversité.
De même, lors de la plantation de haies, il est conseillé d’associer des essences de hauteurs différentes et dont la floraison est différée afin qu’elles hébergent une faune plus variée.
Favoriser les espèces indigènes
S’il n’est bien sûr pas interdit de procéder à des plantations horticoles, souvent composées d’espèces exotiques, ces aménagements seront de préférence limités aux espaces où les fonctions esthétiques sont déterminantes : zones d’accueil ou de prestige (accès, patio…).
Les espèces indigènes ont pour avantage d’être bien adaptées à nos conditions climatiques et résistent mieux aux maladies et aux parasites. Elles fournissent, par ailleurs, de meilleurs abris pour une faune plus diversifiée.
Autre argument de taille : le recours à des espèces indigènes coûte moins cher tant à l’achat qu’à l’entretien ou au remplacement. Une plante indigène est plus rustique qu’une plante ornementale. Elle a donc plus de chance de survivre sur le long terme dans les plantations.
Quoi qu’il en soit, les espèces invasives sont, de leur côté, totalement à proscrire. Citons par exemple la Berce du Caucase, la Renouée du Japon, le Cotoneaster rampant ou la Balsamine de l’Himalaya. Tant leurs caractéristiques écologiques que leur rapidité de dispersion représentent une véritable menace pour nos écosystèmes.
Réaliser une gestion différenciée
Une gestion différenciée ou raisonnée consiste à gérer différemment les espaces verts selon leur usage ou l’endroit où ils se trouvent. Elle permet de faire coexister harmonieusement leurs diverses fonctions : sociale, récréative, paysagère, écologique…
Ainsi, il n’est pas question de laisser la végétation spontanée se développer partout, mais bien de prévoir des zones de gestion extensive (par opposition à une gestion intensive), d’éviter les surfaces à tondre ou à tailler régulièrement, d’interdire l’utilisation de produits phytosanitaires…
À noter qu’en plus d’être écologiques, le fauchage tardif ou les prairies fleuries nécessitent moins de temps et d’argent à entretenir qu’une pelouse tondue régulièrement !
Informer, communiquer
Une fois ces aménagements réalisés, il serait enfin dommage de ne pas communiquer à leur sujet. Pour mettre en valeur le travail accompli d’une part, mais surtout pour pérenniser les résultats obtenus en obtenant l’adhésion des principales personnes concernées (employés au sein de l’entreprise, habitants du quartier…).
Nul besoin d’ailleurs d’attendre pour impliquer au maximum les différents acteurs locaux. Plus ceux-ci seront associés en amont de la démarche, plus ils pourront y contribuer et plus le projet a des chances de réussite et de maintien sur le long terme.
Un projet en faveur de la biodiversité sera d’ailleurs d’autant plus intéressant s’il assure une ouverture sur l’extérieur, en permettant par exemple à une entreprise de nouer un dialogue avec le voisinage.
Suivez le guide…
Intéressé ou sensibilisé par la thématique ? Envie d’en faire plus et de développer l’aspect écologique de votre projet ? Quelles que soient vos possibilités ou vos ambitions, ADVISTA vous accompagne et vous conseille afin de contribuer ensemble à développer la nature en ville.
[1] IPBES, 2019. Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf